L’Union européenne a lancé le programme Direcct (Digital Response Connecting Citizens) pour accompagner les secteurs de l’éducation, de la santé et les petites entreprises à adopter des pratiques numériques, afin de limiter l’impact des crises. Sur la santé, des solutions ont été trouvées pour améliorer la santé des femmes enceintes et des jeunes enfants. Un second projet permet un meilleur accès aux femmes aux outils informatiques, réduisant ainsi les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes.

 

Au Sénégal, dans la région pauvre et rurale de Tambacounda, les femmes enceintes n’ont pas toutes accès aux soins. Beaucoup de villages sont à plus de dix kilomètres du premier poste de santé et s’y rendre entraîne fatigue et surcoût pour les ménages. Ces mères bénéficient ainsi rarement des quatre consultations prénatales qui leur sont proposées, au détriment de leur santé et de celle de leur bébé.

C’est pourquoi l’ONG Oxfam a mis en place en janvier 2023 le système des “marraines”. Ces référentes envoient des sms aux femmes pour les alerter du suivi de leur grossesse et des vaccinations de leurs enfants de moins de trois ans. 200 marraines ont ainsi été dotées d’un téléphone, d’une connexion et d’un forfait téléphonique, le tout financé par l’Agence française de développement (AFD) et Enabel, l’agence de coopération belge.

“En plus de la distance géographique et du coût du transport, il faut savoir que dans les zones rurales les femmes enceintes n’ont pas encore pris l’habitude de venir aux consultations prénatales. Les marraines, qui habitent au sein même des villages, sont là pour les sensibiliser, leur rappeler leurs rendez-vous”, explique Malick Ndome, conseiller politique chez Oxfam.

Aïda Ngom est sage-femme dans la région de Kolda. Le poste de santé où elle travaille couvre un territoire de plus de 4 500 personnes. “Seule, je ne peux pas faire tout le travail. Via sms, je transmets les informations, les rendez-vous ou les listes de médicaments aux marraines”, raconte-t-elle. Résultat, confirme cette maïeuticienne, un plus grand nombre de femmes enceintes viennent à leurs examens. “Cela nous permet de les prendre en charge tôt dans leur grossesse, notamment en cas de pathologie. Nous agissons aussi sur la vaccination, sur le dépistage précoce du VIH, pour éviter une éventuelle transmission mère-enfant”.

Des textos pour établir la confiance.

Dans la région de Tambacounda, Diara Oury Ba, chargée de projet à l’ONG La lumière, constate la même chose. “ Grâce à ces référentes de quartiers, dix femmes enceintes sont retournées voir la sage-femme, alors qu’on ne les voyaient plus”. Les badienou gokh – ce sont leurs noms en wolof – vont chez les mères pour leur rappeler leur rendez-vous. Si elles n’y vont pas, elles leur demandent des explications”, ajoute Diara Oury Ba. Au-delà du sms, c’est une relation de confiance qui s’établit, via cette approche communautaire. À la fois confidentes, conseillères et référentes, les marraines recueillent les problèmes et les inquiétudes des mères.

Il existe également un autre usage de ces messages téléphoniques. “Quand les femmes enceintes vivent trop loin des centres de santé, ce sont les infirmières et sage-femmes qui se déplacent dans les villages. À ces moments-là, la badienou gokh téléphone à toutes les mères concernées. Les consultations prénatales, les vaccinations et les rappels nutritionnels peuvent ainsi être réalisés”, conclut Malick Ndome, de Oxfam.

S’approprier les outils du numérique pour un meilleur système de santé.

Le programme DIRECCT, c’est aussi un important appui à la digitalisation des systèmes de santé et hospitaliers, en particulier au Sénégal et dans les pays de la Communauté du Pacifique.

Cette volonté est née de la crise sanitaire du coronavirus. “Avec le Covid 19, nous nous sommes rendus compte que beaucoup de documents se devaient d’être digitalisés, mais aussi que les soignants pouvaient travailler de chez eux. Le numérique facilite l’accès à la santé, tant pour les professionnels que pour les patients. Cela permet d’améliorer la qualité de leur prise en charge. Moins il y a de charges administratives, plus le corps médical pourra passer du temps à soigner les patients”, explique Woré Fall, ingénieure en informatique et experte en E-santé à Enabel, l’agence belge de développement, qui co-gère le programme avec l’AFD.

Dans le Pacifique, le programme n’en est encore qu’à ses débuts. “Nous allons appuyer le système de santé dans sa transformation digitale, renforcer la surveillance des maladies infectieuses, et  la performance des services de santé. Nous allons également aider le Vanuatu à établir des bases de données sur les personnes handicapées”, indique Amy Simpson, responsable du programme de surveillance, de préparation et d’intervention du département de la santé publique, au sein de la Communauté du Pacifique.

Au Sénégal, 554 agents de santé et ingénieurs ont été formés sur des compétences numériques de base et sur la gestion des réseaux informatiques. Ces formations visaient une meilleure appropriation des outils de bureautique et des bases sur la cyber sécurité ou encore sur la conduite à tenir concernant l’utilisation des données personnelles des patients avec le numérique.

Awa Ly est assistante administrative dans un centre de santé. Pendant cinq jours, elle a appris à installer un système de routeur, à vérifier les connexions, résoudre les problèmes de mémoire. “Avant, nous devions toujours attendre les techniciens, qui sont peu nombreux et qui habitent loin d’ici. Maintenant je suis formée, je peux agir”, clame -t-elle.

Féminiser le secteur informatique

Ndèye Fatou Diome, infirmière, a quant à elle été formée sur les outils numériques, afin de permettre une digitalisation de qualité des données médicales. “J’utilisais déjà tous les jours Word, Powerpoint ou encore Excel mais je ne connaissais pas certaines astuces. Cela m’a permis de me perfectionner. Je gère les programmes du VIH, de la tuberculose et de la lèpre. Tout cela est un travail à 90% numérique, car nous travaillons sur des bases de données. Avec ce que j’ai appris, je vais pouvoir mieux affiner les données et transmettre mes connaissances à mon équipe de sage-femmes et infirmiers”.

Ces formations aux outils du numérique ont en effet également pour objectif de réduire les inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. Aïta Diene, ingénieure en informatique au ministère sénégalais de la santé, a été formée six jours, la préparant à l’obtention d’une certification Cisco sur les réseaux informatiques. La diplômée de l’école supérieure polytechnique de Dakar de préciser : “ Ces formations permettent de nous concrétiser professionnellement en tant que femme. D’avoir des ressources et des compétences, pour mieux nous intégrer dans le secteur informatique, très masculin”.

Sur les 521 agents de santé formés, 58,7% sont des femmes. Un gage d’empouvoirement pour ces employées, qui ont désormais accès aux outils numériques et à leurs usages, dans un secteur informatique encore très masculin.