Dans le cadre du programme DIRECCT financé par l’Union européenne, soutenu par l’OEACP et mis en œuvre par l’AFD, l’ONG Oxfam a mis en place un projet d’appui numérique à la santé au Sénégal. Son objectif principal est d’améliorer l’accès aux soins et à l’information des femmes vivant dans des régions éloignées des centres urbains.

Aider les femmes à accéder aux soins

Le projet COnnecter les VIllages Du Sénégal (CO VI D-Sénégal), mis en œuvre depuis deux ans dans les régions de Kolda et de Tambacounda par Oxfam et ses partenaires, les ONG 7A et La Lumière, a misé sur une alliance entre technologies de l’information et de la communication et instruments coutumiers pour soutenir la reprise des activités visant à améliorer les indicateurs de suivi de la santé de la reproduction maternelle, néonatale, infantile et des adolescents-jeunes (SRMNIA) qui ont été négativement impactés par l’épidémie à COVID-19.

« Face à des époux peu coopérants, nous sommes parfois obligées d’avancer aux patientes les frais de leur transport pour leur permettre de se rendre à leurs rendez-vous. Il peut également arriver que nous leur achetions les compléments alimentaires qui leur sont prescrits. Dans ces cas de figure nous nous efforçons entre deux consultations prénatales d’effectuer une visite à domicile pour discuter avec ces époux et prendre le temps de les sensibiliser sur l’importance de ce suivi prénatal qui est gage de bonne santé pour leur épouse et leur enfant à venir ». En marge d’une mission de suivi des réalisations du projet effectuée au mois de mars, nous recueillons cette confession de la part d’une des « bajenu gox » avec lesquelles nous travaillons dans le district sanitaire de Medina Yoro Foulah. Les « bajenu gox », terme wolof que l’on pourrait traduire par marraines de quartier, sont des relais communautaires qui agissent depuis 2010 à titre d’intermédiaires entre les structures de santé et la population. L’initiative qui les a mises en place et qui était portée à l’époque par le président Abdoulaye Wade, entendait utiliser la figure de la « bajen », la sœur du père, qui joue traditionnellement un rôle de confidente et de médiatrice dans les conflits au sein du ménage. 8600 femmes bénévoles, leaders reconnues dans leur quartier, ont ainsi été enrôlées par le programme d’alors dans les 14 régions du Sénégal pour participer activement dans les activités de sensibilisation à la santé maternelle. Les résistances dont cette marraine nous a fait part confirment les résultats d’une analyse qu’Oxfam au Sénégal a conduit l’année dernière dans le cadre de l’élaboration de sa stratégie genre. L’étude a démontré que les perceptions, les normes et les stéréotypes de genre exercent une forte influence sur la prise de décision dans le ménage. Seules 26,3% des femmes participent à la prise de décision sur leur propre santé. La prise de décision pour se rendre dans les structures de santé est le plus souvent sous le contrôle du mari ou à défaut de la belle-mère. Au vu des évidences dont nous disposions, nous savions que la technologie ne pouvait constituer à elle seule, une réponse durable aux défis auxquels les systèmes de santé font face dans nos zones d’intervention.

A l’origine, c’est en nous basant sur un système de Réponse Vocale Interactive (RVI) que nous voulions effectuer le rappel des consultations pré et postnatales auprès femmes enceintes et allaitantes enrôlées dans le dispositif de suivi des indicateurs du projet.  La RVI est un système téléphonique automatisé qui combine des messages préenregistrés pour engager les appelants en leur permettant de fournir et d’accéder à des informations sans agent en direct. Cette technologie a commencé à avoir des applications majeures pour les soins de santé allant de la gestion des maladies chroniques telles que le diabète aux soins aux populations de patients spécifiques comme les personnes âgées ou les personnes ayant des problèmes de littératie en santé. Dans le contexte de nos interventions où les barrières socio-culturelles sont encore tenaces et le contact « humain » indispensable à bien des égards, elle aurait été mal perçue, rendant difficile son appropriation par les utilisatrices. Pour Babacar Faye, Spécialiste ICT4D d’Oxfam au Sénégal : « aussi perfectionnée qu’aurait été cette solution, elle n’aurait pas offert aux femmes enceintes et allaitantes bénéficiaires du projet CO VI D-Sénégal, l’accompagnement personnalisé que leur fournissent aujourd’hui leurs marraines de quartier ».

Des outils et des ressources numériques pensées pour renforcer la collaboration et la communication entre les personnels de santé et les acteurs communautaires

Les mauvaises performances des indicateurs de santé maternelle ne sont pas liées uniquement à des facteurs culturels, anthropologiques ou socioéconomiques. Elles sont aussi le fait des défauts structurels et organisationnels de notre système de santé. C’est en effet la faible disponibilité en ressources humaines de qualité qui entretient la mauvaise qualité du suivi de la santé maternelle et infantile. Très peu de régions disposent de gynécologue-obstétriciens ou de pédiatres ; les sage-femmes sont en quantité insuffisante ainsi que les structures délivrant des soins obstétricaux et néonataux d’urgence de base. « En cela, il faut dire que l’intégration des « bajenu gox » dans la mise en œuvre des activités de santé communautaire est une solution innovante qui fait montre d’une réflexion stratégique menée dans une approche inclusive » rappelle Malick Ndome, chargé du projet CO VI D-Sénégal. Le gouvernement du Sénégal accorde d’ailleurs aux « bajenu gox » le mérite d’avoir contribué à réduire le nombre de décès maternels de 410 à 315 pour 100 000 naissances vivantes entre 2008 et 2015 et le nombre de décès infantiles de 59 à 50 pour 1 000 naissances vivantes au cours de la même période. C’est sur la base de ces données factuelles que nous avons décidé de renforcer l’inclusion de ces marraines dans les systèmes sanitaires locaux par la mise en place d’une flotte de communication entre elles et les acteurs de la santé impliqués dans le dans la mise en œuvre du dispositif de rappel (sage-femmes, coordonnatrices de Santé de la Reproduction des districts sanitaires, responsables du suivi-évaluation de nos partenaires de mise en œuvre, …) Ce service numérique appelé Groupe Fermé d’Utilisateurs (GFU) permet une communication permanente et gratuite entre l’ensemble des membres de la flotte. Avec une visibilité accrue de l’état de complétude des consultations rendue possible par la numérisation de leur registre de consultations, les sage-femmes font une extraction périodique des rendez-vous à venir qu’elles communiquent aux marraines de quartier qui à leur tour se chargent d’effectuer le rappel auprès des patientes. 176 bénéficiaires directs utilisent actuellement ce service numérique de manière récurrente.

Accroître le pouvoir d’agir des marraines de quartier pour pérenniser les acquis du projet CO VI D – Sénégal

Bien que les « bajenu gox » aient eu du succès auprès des communautés et qu’elles aient réussi à avoir un réel impact sur la mortalité maternelle et infantile sur le plan national, elles se détournent peu à peu de leur mission en raison de l’absence de rémunération et de la sollicitation constante de leurs services qui les empêchent d’entreprendre une activité économique en parallèle. Il nous a paru important dans le cadre de la mise en œuvre de ce projet de valoriser le leadership de ces femmes pour garantir la pérennisation de nos acquis. En plus des formations sur les systèmes de communication et d’information dont elles ont bénéficié, les 133 marraines ont été constituées en groupes « Epargner pour le changement » (EPC), un mécanisme de microfinance déployé par Oxfam au Sénégal depuis 2006 pour renforcer l’autonomisation économique et financière des femmes en s’appuyant sur le modèle de la tontine, un système d’épargne collective et tournante, où chacun cotise et reçoit à tour de rôle le montant collecté. Cela permet aux groupes traditionnellement marginalisés comme les femmes, de surmonter les difficultés d’accès aux crédits bancaires dont les taux d’intérêt sont extrêmement dissuasifs. L’intégration des groupes EPC formés par les « bajenu gox » dans la cartographie des petites unités économiques appuyées par Oxfam et ses partenaires leur fera bénéficier d’un paquet d’activités de renforcement organisationnel qui les aidera à termes, à mettre en place des activités génératrices de revenus.