Le projet Makers Nord Sud financé par le programme Direcct vise à aider les Fablab à créer des prototypes de masques et de respirateurs, via des imprimantes 3D, en recyclant des plastiques usés. Comme les autres projets, il a bénéficié d’un accompagnement spécifique sur la prise en compte des questions de genre via le cabinet Perfégal. Au fil des échanges, la question de la place des femmes dans les fablabs tant au sein de la gouvernance qu’au niveau des activités proposées et objets créés a été posée.

Un questionnaire pour comprendre le contexte

Un webinaire dédié à l’inclusion du genre dans les Fablabs a été organisé en avril dernier regroupant notamment des membres du REFFAO, le réseau francophone des fablabs d’Afrique de l’Ouest et du RFFLABS, le Réseau Français des Fablabs et des Communautés du Faire.

Dans ce cadre, et afin d’alimenter les échanges, les partenaires du projets Makers Nord Sud ont proposé un questionnaire aux Fablabs du REFFAO sur l’implication des femmes dans le projet Makers Nord Sud et sur les actions pour favoriser la participation des femmes dans les Fablabs. Isabelle Gueguen de Perfegal a présenté et commenté les résultats et des responsables de sites ou de réseau et des femmes en Afrique de l’Ouest comme en France, ont pu témoigner d’initiatives conduites et plutôt prometteuses.

Les hommes à la technique – Les femmes dans la communication

Les retours montrent que dans la construction du projet, des femmes ont été associées à la définition du besoin, aux réunions avec les parties prenantes et sur le plan de la communication. Elles auraient été moins présentes sur le choix des équipements et leur réception. Au stade de la mise en œuvre du projet, les femmes se sont retrouvées surtout en charge du volet valorisation auprès de la communauté et des acteurs locaux. Elles ont là aussi été moins impliquées dans la réception et l’installation des équipements.

On note donc que si la présence des femmes est réelle, la division des tâches persiste et laisserait à croire que les hommes auraient davantage de compétences et d’expertise technique tandis que les femmes développeraient un savoir-faire et une expertise dans le champ des relations et de la communication. Les rôles ont été semble-t-il moins figés dans les activités développées. Dans le plupart des Fablabs, des femmes participent à la formation des membres et des usagers à l’utilisation des équipements ainsi qu’à la production et la fabrication des objets que permettaient les nouveaux équipements.

Des initiatives dans les fablabs pour favoriser la participation des femmes

Pour lutter contre la fracture numérique, 12 fablabs sur les 14 Fablabs ayant répondu à l’enquête développent des actions pour favoriser l’apprentissage, la formation et l’utilisation des outils numériques par les femmes. Ainsi certains veillent à une participation des femmes dans les ateliers et activités proposées en développant une communication ciblée ; D’autres participent ou développent des actions dédiées aux femmes axées sur l’entrepreneuriat, l’insertion professionnelle ou autour de l’élaboration de produits comme la broderie numérique ou la fabrication de gel hydroalcoolique et de savon liquide.

Enfin, certains fablabs travaillent à l’émergence de réseaux, de collectifs de femmes dans ou via le fablab. C’est le cas de la communauté des femmes makers du Blolab au Bénin et Helwise Boya, membre fondatrice du réseau des femmes maker a pu témoigner durant le webinaire. « Quand je suis arrivée c’était comme stagiaire et je n’étais entourée que d’hommes. Je me suis alors demandé si j’étais dans un milieu où je ne devais pas être ou s’il y avait autre chose. Je me suis rapprochée des responsables qui m’ont expliquée qu’avant moi, il y avait eu d’autres femmes stagiaires. Alors, on a pensé qu’il serait bien de rassembler les femmes qui étaient déjà passées comme stagiaire pour créer une communauté des femmes Makers. » Helwise explique que ce réseau vise à initier un plus grand nombre de filles au monde des makers et susciter leur intérêt à la fabrication du numérique et leur montée en compétence. Des ateliers sont proposés sur la fabrication, l’innovation et le développement personnel et enfin le réseau permet l’entraide et le développement d’un réseau de relation. Plusieurs groupes thématiques portés par une des femmes membres du réseau ont été proposés en Internet des objets (IoT), la 3D, les énergies renouvelables. Les femmes ont pu aussi réfléchir à l’après formation et au développement de l’entrepreneuriat.

La force des modèles dès le plus jeune âge

L’enquête auprès des fablabs montre aussi que les freins à la présence des femmes dans les fablabs sont liés à l’objet fablab en lui-même du fait de la difficulté pour les filles et les femmes de se projeter. Les filles ou les femmes peuvent exprimer un manque d’intérêt pour l’informatique ou une peur de la technologie ou de ce qui revêt de la technique. Mais, il est aussi observé par les Fablabs interrogés, une méconnaissance du secteur et des activités d’un FabLab. Ces activités peuvent paraître très éloignées des préoccupations quotidiennes en particulier des femmes. Cette situation s’explique aussi par le manque de modèle.

Or « la question des modèles est importante » a souligné Diarra Sylla, fondatrice et Fabmanager du SahelFablab en Mauritanie. « Dans notre Fablab, il y a plus de femmes que d’hommes, et les femmes m’ont souvent exprimé que ce qui les a motivées c’est de me voir moi, femme manager. Les femmes membres du Fablab ont de bonnes compétences techniques, certaines en développement mobile, pour moi c’est en IoT,  et nous développons un travail sur la formation de jeunes dont des jeunes femmes. Par exemple, récemment nous avons accompagné un groupe d’une dizaine de filles déscolarisées, elles ont pu travailler sur la création d’un prototype. Le Fablab s’associe aussi à des temps de sensibilisation des filles au secteur numérique. Dans quelques jours, nous organisons une projection vidéo sur des femmes qui travaillent dans le numérique et une exposition d’œuvres d’art que l’on a fait à partir de matériaux au sein du Fablab. »

Marion Louisgrand Sylla dirigeante du fablab Ker Thiossane à Dakar a aussi fait part de son expérience. « Si en premier lieu, la technique fait peur aux filles et aux femmes, une fois que le pas est franchi, les freins culturels tombent. Chez les plus jeunes, dans les ateliers organisés en milieu scolaire, les filles sont aussi intéressées que les garçons. Mais elle confirme qu’avoir des femmes dans les ateliers demande un investissement particulier. « On essaye d’avoir un nombre minimum de filles en les prenant prioritairement dans certains ateliers pour essayer d’équilibrer. Avoir un minimum de femmes demande un effort. »

En effet, il est notamment difficile de toucher les adolescentes. « Il faut développer des partenariats sur le sujet afin de toucher et de convaincre les parents et la communauté de les laisser venir au sein du fablab » a souligné Marion Louisgrand Sylla. De son côté, Modou Ngom, fondateur de Sen FABLAB, a expliqué aller voir les chefs de quartier et organiser des ateliers hors les murs pour cela.

La présence des femmes source de créativité et d’innovation

La dirigeante du fablab Ker Thiossane a aussi insisté sur l’importance de ne pas cloisonner les activités : « Nous essayons de mixer les techniques pour casser les codes et montrer que la technique est accessible à toutes par exemple en associant broderie et soudure. Il ne faudrait pas cantonner les femmes à la broderie ou à la création de certains produits. »

De son côté, Helwise Boya interrogée sur l’impact de la création du réseau des femmes makers au sein du Blolab a précisé que « L’arrivée des femmes a changé la routine, les objets que l’on fabrique car certaines sont dans la mode, l’architecture. Cela conduit aussi à une synergie d’action et à l’émergence de nouvelles collaborations pour les hommes, les femmes ont pu apporter un regard différent sur le design et l’esthétique des objets. »

La créativité, un argument qui devrait faire mouche dans le milieu des fablabs notamment au sein du REFFAO sachant que le questionnaire a permis d’identifier plus de 30 femmes impliquées en leur sein. Les potentiels modèles féminins existent donc et les participants au webinaire se sont quittés convaincus que l’inclusion des femmes dans les fablabs est un chantier prometteur à conduire dans les prochains mois par les acteurs mobilisés autour du projet Makers Nord Sud.

Accès au webinaire : https://youtu.be/Lfl9uuHmOjU